samedi 9 avril 2016

Le chemin vert

Elle aurait voulu écrire quelque chose, écrire quelques mots pour dire, comme pour dire à Amista ces murs si blancs dont elle se souvenait, cette impitoyable blancheur de ses vingt ans qu’elle n’avait jamais pu meubler autrement qu’en la tapissant de son travail.
Il y avait cette ville, ce port et son histoire, la criée et la vie, ces plages en la quittant, en grimpant la route bordant la côte de loin, de près, flirtant de l’œil avec les ferry droit devant, si hauts, si lents, si majestueux de silence…Ces plages qu’elle appelait le matin de leurs noms, qu’elle se récitait pendant la journée pour les retrouver dans le soir, si petites, d’une famille, d’une solitude à se plaire et à se perdre, offertes entre deux dunes ou creusées d’un escalier entre des rochers.
Il y avait aussi ces paysages d’ailleurs, de l’intérieur, ces monts, ces vallons et puis ces carrières comme d’un autre monde, ce marbre, tous ces petits villages, ces routes de quelques jours apprises par cœur sur la carte offerte par l’Etat de ce curieux contrat… pour ne pas se perdre… Et curieusement, elle ne s’est jamais perdue, elle aimait cet exil à deux pas de l’autoroute qui la reliait à ses montagnes noires dressées comme des panneaux routiers lorsqu’elle revenait, disant : ici c’est d’où tu viens.
La mer partout et ces enfants, tous ces enfants qu’elle n’avait jamais su aimer auparavant. Elle revoyait ce bébé d’homme qui creusa la mer pour rejoindre l’île d’Angleterre. Elle qui n’avait jamais pris un enfant dans ses bras, ni même su dire des paroles pour réconforter.
Il y avait comme des épreuves, comme des passages qui l’ont forcée sans la forcer, qui l’ont obligée si elle acceptait cette vie à y trouver du bonheur.

Alors c’est vrai elle l’a trouvé ce bonheur, et il est toujours là. 

dimanche 3 avril 2016

le spectre bleu

Dans la galaxie, il y avait une petite étoile chère à son cœur et qui n’aurait jamais de prix.

Lorsque pour la première fois elle la vit,  elle comprit que tous ses mots pouvaient rester de silence, elle les savait déjà. Les sons de sa drôle de voix n’émettraient aucune interférence.
On disait d’un regard, et bien c’était vrai, comme deux mains qui se frôlaient et faisaient passer quelque chose d’invisible. Invisible, indicible, même en écrivant elle s’emmêlait les mots, la forme et le sens se superposaient, ce qui ne se voyait pas, ce qui ne se disait pas.
Et voilà qu’elle s’allongeait déjà dans le fil de son histoire, un peu comme si elle s’arrêtait sur toutes les aires de repos de l’autoroute.
Le temps passait là dans son écriture immobile et solitaire, toutes ses haltes d’existence pronominale, chose et être, à se regarder, à se reconnaître et à se tenter de s’accorder avec soi-même.
Elle avait mis son affreuse tête, ses cheveux sans contrôle, elle avait mis son corps, l’apparence de son être, le contraire du révélateur de l’encre invisible, comment dire mieux ? Elle était à la fois celle qui n’avait jamais écrit, celle qui avait écrit, celle qu’elle était avant et celle qu’elle était maintenant.
On disait d’un regard…on se disait d’un regard.
Entre leurs yeux passait un spectre bleu.

Dix ans de loin, seulement, et le cœur n’avait déjà plus ce temps de l’impatience infinie d’attendre que la galaxie ait rétréci.

Lorsqu’elle reprit ce texte, elle se rendit compte de la perte de toute la poésie qu’elle avait eue auparavant, le temps des étoiles s’en était allé d’avoir si fort aimé.
Aujourd’hui, elle étreignait, elle embrassait ce corps qui n’avait jamais été son étoile, mais elle espérait encore sans se le dire qu’un nouveau spectre bleu passa entre leurs yeux…

Dans la vie, il y avait des textes qui ne s’apprenaient pas par cœur, des étoiles, et puis une, et puis deux et puis trois, et puis soi qui ne s’accorderait pas.
Plus le temps passait, plus elle n’avait ce besoin impérieux d’écrire, elle se souriait en se relisant, jamais elle ne pourrait effacer ces mots, ses mots liés à elle, peu importait la gamine qu’elle fut, cette enfant d’elle-même, cette naïve au sourire béat comme on lui avait dit autrefois.
Elle avait juste envie d’aimer, avec ses yeux, avec sa voix, plus avec ce clavier qu’il ne lui allait pas.
Elle avait mis sa veste de tous les jours, ses souliers pour marcher, quand son sourire tout seul se mit à pianoter sur ses lèvres.


Dans la galaxie, il y aura toujours une étoile pour m’écrire.

                                                                                                   Aslé
Silvana Solivella