Je n’avais pas encore la mémoire d’une Butch Cassidy.
Je l’appelais Aimée en souvenir du film Aimée &
Jaguar. Tous les jeudis matins dans l’azur naissant, elle se faufilait vers le
haut de la montagne Sainte Geneviève, son corps de callypige miaulait encore
sous le vent de la tempête, j’entendais presque les clapotis de sa chevelure.
Elle me troublait et je rougissais sous l’obsidienne de ses yeux, comme à la
lumière d’une aigrette de cyprine.
Et puis un jour de sérendipité, d’un train
malencontreusement raté, j’entrais à « l’Accroche-cœur », ce café aux
murs de miroirs et de photos, couleur de schiste, je m’emboîtais sans détours
et sans mystère entre la banquette et la table couleur cerise, je ressentais en
moi le bateau qui chavirait, ma peau était prête à éclater, je réalisais que
j’allais la voir de très très près. Pour me détendre je me mis alors à
feuilleter cette revue sur les oiseaux qui dans mon rêve était le signe pour
nous reconnaître, mes doigts entortillaient les pages, je voulais être de
plénitude, avoir le corps calme, ne plus entendre les filles au comptoir qui
parlaient de manteaux de fourrure. Les minutes s’enhardissaient de ma fièvre et
d’étoiles, je revoyais mon rêve comme un drapeau qui claquait au vent, comme un
éclair de vie enfin qui me sortirait de la moiteur de mon corps.
Soudain le jour de la porte ouverte éclaira Aimée de
chair et de passion, un immense sourire aux lèvres, tenant entre ses mains un
gâteau d’anniversaire, elle avait autour du cou un collier de perles rouges et
bleues qui dansaient, et plus je la regardais, et plus je savais que la
zemblanité n’était pas seulement qu’un paquet de mouchoirs pour m’intimider.
Deux jeunes hommes alors se levèrent, elle déposa
subrepticement le gâteau sur le comptoir et les serra avec tendresse contre sa poitrine,
les appelant «mes fils» leur disant haut et fort qu’elle les aimait.
La télé en boucle derrière le comptoir fit une nouvelle
accroche, distillant encore et encore la révolte, la trahison et la rage de celles qui lesbonophilaient pour
un monde de sensualité à partager.
Ensuite elle alluma à l’aide d’une longue baguette
enflammée les bougies.
A cette époque je ne censurais pas mes maux, j’avais pris
un cahier pour observer et décrire, alors comptant parmi les mots ceux qui me
resteraient à utiliser : donner, dormir, douceur, frôler, intensité, jouir
et peloter, je ne me sentis pas du tout désarçonnée : j’avais encore mon
caressefil…
Les garçons qui semblaient être des jumeaux soufflèrent
en chœur les bougies, Aimée entonna un vieux chant yiddish polonais de
célébration de mariage.
Ce fut là que je fis cette grande croix croisée dans ce
fameux cahier : qui voulait dire tant pis ! si je suis catholique !!!!!!!
Alors je me suis levée, j’ai poussé avec des cliquetis la
table et mes cinq tasses de café, je partais
regrettant d’avoir raté mon train et d’avoir passé ces quelques heures à
rêver.
« Aslé ! »
Mais comment Aimée connaissait-elle mon prénom ?
« C’est ton cousin qui m’a dit que c’était toi, lui
là : Michel ! Aujourd’hui il fête leur premier anniversaire avec Bertrand !
Ce fut ainsi que grâce à mon cousin Michel, je devins (au
début) serveuse à « l’Accroche-cœur »…
(Je rereferai une relecture pour les fautes de français,
mais j’ai retrouvé ce grand début d’histoire tout à l’heure et impatiemment je
l’ai terminée en écoutant Prince, comme quoi je change, jamais je n’aurais pu
écrire ailleurs que dans le silence de mes mots.)
Je vous aime.